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Bentu à la Fondation Louis Vuitton - 2016

Exposition Bentu

Des artistes chinois dans la turbulence des mutations

Fondation Louis Vuitton (27 janvier – 2 mai 2016)

Œuvre : Strangers de Cao Fei

(installation Strangers City, 2015

8 vidéos - 4 minutes 18 secondes)

Dans le cadre de l’exposition Bentu se tenant à la fondation Louis Vuitton, douze artistes chinois sont réunis, d’origines et générations différentes pour offrir aux visiteurs une vision des répercussions d’une Chine en constante évolution sur l’art contemporain chinois. Ce rassemblement d’œuvres nous permet d’entrevoir le caractère changeant des productions pour nous amener à discuter la notion de mutation, au regard des contrastes humains comme économiques.

Mon choix de commentaire se porte sur l’œuvre de l’artiste Cao Fei. Très inspirée par les technologies et leur impact sur la société, elle n’hésite pas à utiliser la télévision, la publicité mais également le théâtre, la danse et l’opéra pour témoigner de sa pensée et d’un monde plein de contradictions. Fille d'un sculpteur du régime politique chinois, elle tente de montrer l'emprise du politique et celle de l'économie sur l’actuelle société chinoise. Déjà en 2000, avec l’exposition « Imbalance 257», elle décrivait une société au bord de la schizophrénie. Elle montre, à sa façon, les impacts néfastes des mutations diverses en Chine.

Dans son installation à la fondation Louis Vuitton, qu’elle nomme « Strangers » elle explore les frontières entre le monde réel et virtuel. L’espace entre privé et public est lui aussi mis en avant. Composé de divers écrans, sont rétro projetés des courtes vidéos ou l’artiste s’est enregistrée en échange avec des internautes sur un site de rencontre Omegle.com, semblable à celui de "Chat Roulette".

L’artiste communique avec eux à travers sa vision artistique. En effet, on la voit dans différentes postures et situations, qui on pour but de « déranger » son interlocuteur, de déjouer ses attentes. Par « déranger », on signifie ne pas être un simple visage face à un autre mais au contraire se cacher, ne laisser entrevoir que son corps, sa main, un bouddha posé sur une table ou encore une marmite en train de bouillir sur une cuisinière… Le tout est une sorte de jeu, qui cultive à la fois le mystère mêlé à des situations quotidiennes, comme la vision de la pluie qui tombe à travers une fenêtre.

On le perçoit comme destiné à rappeler à l’interlocuteur que celui qu’il rencontre sur ce site, n’est pas un « lui », un simple visage en quête de parole, mais bien son égal. Il est un être humain, qui, lui aussi, possède une existence. Dans une société ou l’utilisation des téléphones portables et des réseaux sociaux est à son apogée, les relations humaines sont moins mises en avant comme il en est de l’échange humain. Cao Fei tente ici de faire réfléchir sur ce premier impact des technologies sur l’homme. Sur ce site, les rencontres sont éphémères et le choix d’arrêter un échange avec une personne, pour passer à une autre, réside dans un simple « clic » sur le bouton « next ». Voilà ce qu’on peut considérer comme une première critique, le simple fait d’échanger avec un semblable pour tout à coup l’ignorer et passer à un autre, sans aucune forme de considérations. Il en ressort l’impossibilité d’un vrai dialogue dans un univers entièrement médiatisé. On ressent également le côté impatient des internautes. Bon nombre d’entre eux « next » rapidement l’artiste mais certains, sont à la fois curieux et peut être même « absorbés » par ce qu’ils voient. Ils patientent devant la vidéo, parfois envoient quelques messages : « hey », « who are you ? », « what are you doing ? », ou encore commentent les scènes…

Le ressenti artistique de cette installation se retrouve surtout dans les réactions des internautes qu’on pourrait apparenter à celles de visiteurs dans un musée face à une œuvre qu’ils ne comprennent pas, mais qui pourtant vont s’y attarder, la contempler sous différents angles, s’en faire une idée, puis finalement partir en voir une autre. Le va-et-vient perpétuel dans un musée, entre les œuvres, est comme celui qui s’opère entre les hommes sur ce site. Cao Fei tenterait-elle de nous montrer que nous sommes, nous aussi, des œuvres d’art ?

Le titre de l’œuvre, « Strangers », n’est pas sans rappeler cette « peur de l’autre », de l’étranger. On discute alors sur des sites, caché derrière son écran et à l’abri, rien ne peut nous arriver. Pourtant, en rappelant que l’autre n’est pas un ennemi mais bien un semblable, Cao Fei essaye peut-être de nous redonner confiance en les échanges humains. Les mutations de société nous auraient rendu frigides, renfermés, Cao Fei en fait ici la critique et cherche à nous le rappeler. La question perdure : sommes-nous conscients ou avons-nous à nous rendre conscients de cela ? L’observation centrale qu’on retient, est celle d’un « plongeon » dans un quotidien médiatique, critiquable mais bien représentatif des mutations de la société.


Carla Zce





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